BENZODIAZ�PINES
L�usage
th�rapeutique des benzodiaz�pines remonte aux ann�es �60. L�usage
massif de barbituriques (surtout outre-Atlantique) imposait la d�couverte
d�une mol�cule capable d�assurer la substitution ; mais les
benzodiaz�pines, efficace dans cette indication se relev�rent avoir un
potentiel addictif aussi puissant que les barbituriques. Depuis 1952, la
seule mol�cule anxiolytique �tait le m�probamate (Equanil�),
mais l �arriv�e des benzodiaz�pines marqua un tournant dans la
prise en charge des �tats anxieux et des troubles phobiques. La premi�re
benzodiaz�pine fut le Librium� (1961) relay�e en 1964 par le
diaz�pam (Valium�), qui reste la r�f�rence. Depuis, de
nombreuses autres mol�cules ont �t� fabriqu�es ; toutes les
benzodiaz�pines ont une action s�dative, anxiolytique, anticonvulsivante
et myorelaxante. La classe g�n�rique de tranquillisants englobe en plus
de benzodiaz�pines certains antid�presseurs et neuroleptiques (les
am�ricains en font m�me un partage entre les tranquillisants faibles �
benzodiaz�pines � et forts � neuroleptiques).
Deux aspects
doivent �tre pris en compte : la prescription et l�usage
d�tourn� � des fins toxicomaniaques.
La France
d�tient le record mondial de prescriptions d�anxiolytiques, les
benzodiaz�pines �tant les produits les plus prescrits. Elles ont
remplac� les barbituriques et les carbamates du fait de leur grande
efficacit� dans l�anxi�t� et les troubles du sommeil.
Les principales
indications th�rapeutiques sont les manifestations psychologiques et
somatiques de l�anxi�t� (la prescription d�une benzodiaz�pine pour
une crise d�angoisse en urgence est devenue tr�s courante). La majeure
partie des benzodiaz�pines est utilis�e dans certaines
pathologies comme :
- Les �tats anxieux aigus
- Les r�actions anxieuses
secondaires � des �v�nements traumatisants
- Les �tats d�anxi�t�
g�n�ralis�s
- Les troubles de sommeil
(difficult� d�endormissement)
- Les pathologies musculaires
(contractions musculaires)
En pratique les
contre-indications absolues sont l�insuffisance respiratoire ou
h�patique, la myasth�nie (diminution progressive de la force
musculaire), le syndrome d�apn�e du sommeil (la survenue de pauses
respiratoire pendant le sommeil profond) et les ant�c�dents d�intoxication
ou d�intol�rance aux benzodiaz�pines.
Les
contre-indications relatives sont li�es aux potentiels toxicomanog�nes
des benzodiaz�pines (alcoolisme, toxicomanie), aux troubles chroniques de
longue dur�e du sommeil, le grand �ge.
Le risque d�interactions
avec l�alcool (potentialisation des effets s�datifs des
benzodiaz�pines) doit �tre clairement expliqu�.
Toutefois, les
risques encourus sont principalement li�s � une utilisation
prolong�e :
- L�arr�t brutal du
traitement peut causer un ph�nom�ne de rebond (recrudescence
importante de la symptomatologie initiale) ; le rebond met en
�vidence la d�pendance physique et psychique aux benzodiaz�pines, d�autant
plus que la prescription d�passe les six mois et si il y a
coexistence des troubles de la personnalit�, alcoolisme ou autres
maladies addictives. Les manifestations du sevrage sont l�Insomnie,
la fatigue, les c�phal�es ou la vision brouill�e. Dans les cas les
plus graves, on a rapport� de l'hypotension, de l'hyperthermie, des
perturbations neuro-musculaires, psychoses et convulsions. L'anxi�t�
qui appara�t pendant le sevrage peut �tre la r�apparition de
conditions ant�rieures � l'introduction du produit.
- Les troubles mn�siques
(amn�sie ant�rograde) exprime des alt�rations psychomotrices et
cognitives lors des prescriptions au long cours. L�amn�sie induite
par les benzodiaz�pines fait souvent l�objet d�expertises
psychiatriques en justice, certaines passages � l�acte (viol,
crime, cambriolage) �tant attribu�s � non sans tort � � l�usage
des benzodiaz�pines. Ces situations ont amen�es le l�gislateur de
r�glementer la prescription des benzodiaz�pines (arr�t� du 7
octobre 1991) � 4 semaines pour les benzodiaz�pines � propri�t�s
hypnotiques et de 12 semaines pour les benzodiaz�pines �
propri�t�s anxiolytiques. Le cas particulier de l�Halcion�
� dur�e de prescription deux semaines � sera envisag� plus loin.
- Les effets
" paradoxales " de l�utilisation prolong�e des
benzodiaz�pines sont repr�sent�s par la d�pression avec des
tendances suicidaires, des manifestations hallucinatoires, des
ph�nom�nes de d�r�alisation, des phobies, des comportements
violents.
En plus des
effets adverses � court et moyen terme (d�ficit de l'attention ;
ralentissement psychomoteur; difficult� d'�locution; incoordination
motrice; baisse de la vigilance; suppression des inhibitions; �quilibre
difficile; vue brouill�e; confusion; sommeil; diminution du rythme
cardiaque) on observe parfois des r�actions paradoxales
(hyperstimulation, agressivit�, col�re). Plusieurs benzodiaz�pines
affectent la m�moire des utilisateurs.
Au d�but des
ann�es �70, les sp�cialistes se prononcent contre l�id�e de
d�pendance due � l�usage de benzodiaz�pines, mais � partir des
ann�es �80, le potentiel addictif des benzodiaz�pines est largement
accept� et d�montr�.
Il est
souhaitable de recommander des r�gles simples de prescription :
d�but � des doses minimales et progressives, dur�e de prescription
courte, arr�t progressif du traitement en avertissant le patient du
risque de r�apparition de troubles initiaux (ph�nom�ne rebond). l�arr�t
du traitement est r�alis� par palier progressif de 25% de la quantit�
ant�rieure. L�association des benzodiaz�pines aux autres substances
psychoactives (alcool, psychotropes) doit �tre bannie.
En cas
d'intoxication pure avec des benzodiaz�pines on peut rencontrer des,
troubles du comportement avec agitation, d�sinhibition (risque suicidaire
�lev�), agressivit�. Dans les phases tardives de l�intoxication on
met en �vidence une d�pression du syst�me nerveux central, avec
obnubilation, hypotonie musculaire, somnolence jusqu'au coma profond, une
d�pression respiratoire le plus souvent mod�r�e des perturbations
h�modynamiques : tachycardie et hypotension art�rielle. Dans presque
tous les cas, on constate une amn�sie ant�rograde.
Le pronostic est
le plus souvent favorable. Cependant une attention particuli�re doit
�tre port�e en cas de dose ing�r�e massive lorsque la mol�cule est
tr�s s�dative - en particulier les hypnotiques triazolam (Halcion�),
flunitraz�pam (Rohypnol�), en cas d'ant�c�dents m�dicaux :
insuffisance r�nale chronique, insuffisance h�patique, et surtout
insuffisance respiratoire (quelques comprim�s sont suffisants pour
d�compenser une insuffisance respiratoire chronique). Lors d'association
avec d'autres d�presseurs du syst�me nerveux central, et/ou d'alcool,
qui se potentialisent r�ciproquement, la r�animation dans un service
sp�cialis� et l�utilisation d�un antidote Anexate (Flumaz�nil�),
sont � envisager par l��quipe soignante.
Le d�tournement
de l�usage des benzodiaz�pines peut prendre la forme classique d�une
toxicomanie parfois isol�e, mais le plus souvent en association avec d�autres
substances psychoactives (h�ro�ne, alcool) cette derni�re situation
correspondant � une polytoxicomanie. La toxicomanie vraie aux
benzodiaz�pines est volontiers f�minine, li�e aux personnalit�s
n�vrotiques. Dans la polytoxicomanie classique, l�usage de cocktails
m�dicamenteux tend � palier le manque d�effet r�sultant d�un
ph�nom�ne de tol�rance ou dans certaines situations les difficult�s en
approvisionnements.
L�action
toxicomanog�ne des substances psychoactives (benzodiaz�pines comprises)
est en relation directe avec l�activation du syst�me de r�compense
dopaminergique - SRD. Le SRD explique le renforcement des
comportements de consommation de substances psychoactives par une
" mise en valeur " du plaisir �prouv�e lors de la
consommation et par les effets intrins�ques li�s au produit (euphorie,
s�dation).
Il n�est pas
rare de constater qu�une prescription initiale m�dicale d�une
benzodiaz�pine �chappe souvent au contr�le pour prendre l�allure d�une
autom�dication. Dans le cas des toxicomanies isol�es aux
benzodiaz�pines, le sujet est d�j� consommateur du produit. Pour les
polytoxicomanies la rencontre entre le produit et les facteurs de
personnalit� (fragilit�, immaturit�, app�tence) fait en sort que les
benzodiaz�pines deviennent facilement substances d�abus.
L�usage
toxicomaniaque de benzodiaz�pines repose sur les propri�t�s
pharmacologiques du produit d�une part et sur les facteurs de
personnalit�. Dans le cas des substances psychoactives, leur prise
provoque des effets de d�pendance psychologique et (ou) physique
induisant un besoin irr�sistible de consommation avec souvent la
n�cessit� d�augmenter r�guli�rement les doses pour que soit maintenu
l�effet recherch�. Les m�dicaments sont utilis�s par les toxicomanes
pour diverses raisons dont:
- Bon substitutif en cas de
manque.
- Facilit� relative
d'acquisition.
- Utilisation licite.
- Prix de revient bien moindre
qu'une drogue classique.
Dans le contexte
actuel, la France fait partie des pays les plus m�dicalis�. La
prescription des m�dicaments au cabinet du m�decin g�n�raliste
d�passe le pourcentage de tous les autres pays industrialis�s. Plus des
trois quarts des m�decins qui voient des toxicomanes d�clarent leur
prescrire des m�dicaments. On note de m�me une augmentation nette des
posologies quotidiennes des benzodiaz�pines - Tranx�ne� 50,
Rohypnol� - constat qui vient de confirmer la place importante
que les prescription m�dicamenteuses jouent dans la p�rennisation ou l�entretien
des " b�quilles chimiques ". Les quantit�s
journali�res prescrites d�passent souvent les posologies
habituelles : (Tranx�ne�
50, posologies
variant de 1 � 8 comprim�s, Rohypnol�,
2 � 4
comprim�s par jour, Lexomil�
de 1 �
6 comprim�s par jour).
Le Rohypnol�
(flunitraz�pam) est une benzodiaz�pine utilis�e dans plusieurs pays
pour le traitement de l'insomnie. Sa vente n'est pas permise au Canada et
aux Etats-Unis, mais on la retrouve sur le march� noir (il arrive souvent
par les fili�res mexicaines). Le produit est absorb� rapidement par voie
orale (on peut aussi l'ing�rer par inhalation). La s�dation survient
apr�s 20 � 30 minutes. Les effets culminent apr�s 2 heures et
persistent pendant 8 heures.
Au d�but de
1997, les m�dias nord-am�ricains ont fait une grande publicit� au
produit, l'associant � des viols commis sur des victimes ayant absorb�
le m�dicament � leur insu, avec de l'alcool (les cambriolages sexuels).
Le flunitraz�pam poss�dant des propri�t�s amn�siantes, la victime
�prouvait beaucoup de peine � se souvenir de ce qui lui �tait arriv�
� son r�veil. De plus sa pr�sentation �tait de nature � favoriser de
tels d�bordements ; r�cemment les laboratoires ont mis sur le
march� une nouvelle forme de Rohypnol�, de couleur verte qui
colore les boissons dans lequel il est dissout et en r�duisant sa
posologie (arr�t de la commercialisation des formes de 2 mg).
La meilleure
analyse europ�enne est celle du Dr Marc Jamoulle, sp�cialiste belge.
Selon son analyse la situation au niveau de l�Europe est inqui�tante,
avec une consommation en forte hausse. L�enqu�te men� parmi des
consommateurs d�h�ro�ne a permis de souligner que presque 60% des
d�pendants aux opiac�s sont des polytoxicomanes, les m�dicaments
d�tourn�s d�usage et surtout le Rohypnol� �tant
incrimin� dans plus de la moiti� des cas. Les
" roches " donnent un �tat caract�ristique,
" �tre en Roche ", �tat d�crit souvent comme une
explosion interne. Les " roche-man " ont des passages
� l�acte fr�quents, suivis d�un �tat d�amn�sie ant�rograde
totale. Il est utilis� de fa�on intentionnelle comme amn�siant
ant�rograde (notamment par les prostitu�es et les prisonniers). Le
Rohypnol� fait partie actuellement des drogues de rue les plus
r�pandues.
Le tableau peut
�tre d'intensit� variable selon la quantit� de comprim�s ing�r�e, la
potentialisation alcoolique souvent recherch�e, le degr� de d�ficience
mentale de l'individu, la dur�e et l'intensit� de la toxicomanie. Le
Rohypnol� est rapidement tol�r�. Les doses peuvent atteindre
60 � 80mg/jour. On a rapport� des d�c�s lors de surdoses,
particuli�rement avec l'ingestion combin�e d'alcool.
Le Tranx�ne�
50 (chloraz�pate), est une benzodiaz�pine souvent rencontr�e dans
le parcours des toxicomanes. La prise orale de Tranx�ne� se
fait souvent en m�lange avec l�alcool et des drogues dures comme l�h�ro�ne.
Les effets se font ressentir au bout de 30 � 45 minutes et persistent
pendant 6 � 8 heures (effet dose-d�pendant). Les r�actions adverses
sont repr�sent�es par une baisse de la tension art�rielle, s�cheresse
des muqueuses, troubles de la vision, �tats confusionnels.
Paradoxalement, l�effet anxiolytique attendu peut �tre replac� par une
lev�e de l�inhibition � agressivit� ou excitabilit�. Comme les
autres benzodiaz�pines, l�usage abusif de Tranx�ne� induit
une pharmacod�pendance (le sevrage se manifeste alors par c�phal�es,
tension nerveuse, engourdissements des extr�mit�s, et dans les cas
extr�mes des crises convulsives). Parmi les effets psychiques redoutables
on peut citer des hallucinations, attaques paniques, �tats confusionnels,
des signes d�irritabilit�, d�sorientation temporo-spatiale. Comme pour
les autres benzodiaz�pines, l�arr�t du Tranx�ne� doit se
faire proggressivement, par paliers.
L�Halcion�
(triazolam) est une des benzodiaz�pines qui ont soulev� plusieurs points
d�interrogation, surtout sur ces propri�t�s amn�siantes et sur le
d�veloppement de la suggestibilit� mais aussi sur les manifestations
violentes qui r�sultaient. On a vu des pays qui ont interdit la
commercialisation (Grande-Bretagne en 1991) ou des pays qui ont r�duit la
posologie autoris�e et limiter la dur�e de prescription (maximum deux
semaines en France). La soumission des consommateurs a attir�e l�attention
des sp�cialistes sur le potentiel infractionnel de son utilisation.
L�utilisation
des benzodiaz�pines dans une vis�e toxicomaniaque est un fait largement
constat� au niveau de la France. Le faible co�t, la possibilit� et la
facilit� de se procurer une substance psychoactive sous la couverture
quasi-constante de la l�galit� font de cette classe m�dicamenteuse, le
num�ro un des m�dicaments d�tourn�s d�usage ; on constate de
plus en plus la pr�sence grandissante des m�langes entre les
benzodiaz�pines et les autres drogues, mais aussi des m�langes aussi
dangereuses entre les benzo et les produits de substitution opiac�s
(Subutex). La n�cessit� de travail en r�seau entre les diff�rents
partenaires � secteur m�dico-psychologique, social, justice � est une
�vidence. La politique de r�duction des risques doit tenir compte de
cette consommation et offrir des moyens de pr�vention plus adapt�s, �
travers des campagnes d�information et sensibilisation aupr�s des
prescripteurs, des usagers et des professionnels des centres de soins.
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